Onomatopée

Qu’est-ce qu’une onomatopée ?

Le terme Onomatopée, du latin onomatopoeia, dont l’origine grecque signifie « création de mot », est formé à partir d’onoma, ou onomato« mot », « nom » et de poieîn « faire ». Il évoque donc la fabrication et la création des mots..[1] Cependant, la terminologie linguistique diffère du sens étymologique général de « création de mot » car elle spécifie une catégorie de mots caractérisés par une certaine ressemblance avec la chose nommée : « On appelle onomatopée une unité lexicale créée par imitation d’un bruit naturel : tic-tac, visant à reproduire le son du réveil ; cocorico, imitant le chant du coq, sont des onomatopées. »[2] Elle souligne la simulation du bruit associé à l’objet nommé : « une analogie entre la forme phonique et la forme immédiate ou métaphorique du concept signifié. »[3]

Les onomatopées de bandes dessinées sont des mots dont le signifiant imite le son associé au fonctionnement ou au déplacement d’un objet ou d’un personnage, ou qui reproduit les sons de la nature, les cris des animaux ou des bruits non linguistiques émis par des personnages. « Chaque dessinateur avait sa détonation de revolver : « pan ! » chez Hergé, « Paw ! » chez Gir et « Crack ! » chez Hugo Pratt. On comprenait bien que ce n’étaient pas les mêmes armes, mais peu s’en fallait : ce qui changeait, c’étaient les musiciens. »[4]

Onomatopées et origine du langage Les formes onomatopéiques se retrouvent couramment dans toutes les langues. Leur importance varie cependant d’une langue à l’autre. La présence de cette catégorie de mots “naturels” incite certains linguistes à formuler une hypothèse selon laquelle les onomatopées sont les traces d’une langue primitive qui peut expliquer l’origine du langage. Partant de cette hypothèse, la présence des formes onomatopéiques est considérée comme une preuve en faveur de la thèse naturaliste qui établit l’existence de lien naturel entre les mots et les choses. Selon l’érudit Charles de Brosses (1709-1777), l’origine du langage et la formation ultérieure des mots sont bâties sur la base de l’imitation de la nature.[5]

Onomatopée et motivation du signe Les partisans de la motivation du signe s’appuient fréquemment sur les onomatopées et les interjections,[6] mais souvent dans une optique simpliste qui restreint les possibilités d’exploitation des sons en cherchant des liens trop directs entre son et sens. Dans un but opposé, Ferdinand de Saussure simplifie le problème en les excluant de la langue : « On pourrait s’appuyer sur les onomatopées pour dire que le choix du signifiant n’est pas toujours arbitraire. Mais elles ne sont jamais des éléments organiques d’un système linguistique ».[7] Il conteste aussi leur symbolique puisque les onomatopées comme les interjections varient selon les langues. Le cas particulier des onomatopées illustre les paliers successifs qui mènent au langage. Roman Jakobson donne des exemples, dans des onomatopées d’enfants, d’emplois de sons qui ne sont pas encore acquis en tant que phonèmes.[8] L’enfant utilise facilement divers sons pour imiter, il est à son aise lors d’une motivation directe, mais la difficulté de l’acquisition du langage réside dans la motivation indirecte, dans la mise en place du système organisé de la hiérarchie phonématique. Les onomatopées associent un objet à une unique syllabe répétée. Nous sommes à un stade primaire d’analyse. Cependant pour Roman Jakobson, « c’est plutôt à la valeur expressive de l’exceptionnel qu’à l’imitation acoustique fidèle que serait dû l’emploi chez l’enfant de voyelles palatales arrondies dans ses mots onomatopéiques, alors que dans le reste du vocabulaire il continue à les remplacer par des voyelles non arrondies ou vélaires ».[9]Selon le linguiste, l’enfant emploierait des sons non inclus dans son système phonématique pour leur valeur exceptionnelle. Ce qui est déjà une forme de motivation. Pour Saffi, l’utilisation onomatopéique de certains sons ne semble pas due à leur exclusion du système phonématique car on utilise aussi des sons intégrés au système. Cette liberté d’emploi des sons est plutôt due à la motivation directe de l’imitation. Une imitation dépendante de la perception de la réalité, elle-même soumise à des schémas culturels.[10] L’adulte est souvent impressionné par les performances d’imitation chez l’enfant, performances désormais hors de sa portée sauf si exceptionnellement il exerce la profession d’imitateur. La variation est en effet conventionnelle chez les adultes (ex : le coq français : cocorico, italien : chicchirichi). Un mot qui imite le bruit d’un objet ne peut pas se démontrer puisque la réalité même de ce bruit diffère selon le filtre acoustique acquis propre à chaque langue. Chaque fois qu’un locuteur nomme un objet, il le définit avec les outils de sa langue et le classe ainsi dans une hiérarchie analytique du monde propre à sa culture. En apprenant sa langue, le locuteur a assimilé une convention d’analyse, des choix bien précis quant à la méthode d’observation et d’appréciation du monde qui l’entoure. Les onomatopées sont une étape : le locuteur pense imiter alors qu’il passe déjà par le crible phonématique de sa langue ; cependant, sa démarche analytique n’est pas encore celle du système abouti de sa langue, c’est une analyse saisie de manière anticipée car l’onomatopée est encore liée intimement à la réalité qu’elle décrit.

Notes

  1.  Jean Dubois, Henri Mitterand, Albert Dauzat, Dictionnaire d’étymologie, 2004, p. 523.
  2.  Op. Cit., , p. 334.
  3.  Pierre Guiraud. Structures étymologiques du lexique français, 1967, p. 90.
  4.  Gérald Gorridge, Créer une BD, FIRST Edition, collection “Pour les nuls », 2010, p. 224.
  5.  Charles de Brosses, Traité de la formation mécanique des langues, vol. I., 1765, p. xiii-xvi (Discours préliminaire).
  6.  Président de Brosses, Traité de la formation mécanique des langues et des principes physiques de l’étymologie, Paris, Saillant, Vincent Desaint, 1765, p. 9 ; Abbé Copineau, Essai synthétique sur l’origine et la formation des langues, Paris, Ruault, 1774, p. 34-35 ; Christian Lehmann, « Arbitraire du signe, iconicité et cercle onomatopéique », Université d’Erfurt, publication en ligne, 2005, www.uni-erfurt.de/…/lehmann/CL_Publ/Arbitraire_du_signe.pdf 
  7.  Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, éd. Critique par Tullio de Mauro, 1979, p.101.
  8.  Roman Jakobson, Langage enfantin et aphasie, Paris, Les éditions de Minuit, 1969, p. 29-30.
  9.  Ibidem
  10.  Sophie Saffi, « Discussion de l’arbitraire du signe. Quand le hasard occulte la relation entre le physique et le mental » in Italies, 9, Figures et jeux du hasard, 2005, p. 211-234.