Submorphologie

Qu’est-ce que la submorphologie ?

Le discours proféré par un locuteur peut être décomposé en phrases, puis en mots, eux-mêmes constitués de morphèmes (une ou plusieurs syllabes réunies pour porter une notion ou des informations grammaticales). Les syllabes se composent de phonèmes (sons utilisés pour le langage), chaque langue sélectionnant quelques dizaines de phonèmes et considérant les autres sons comme des bruits. Les chercheurs en submorphologie considèrent que l’on peut observer la motivation du signe dès lors que l’on se situe à un niveau submorphèmique (donc inférieur au morphème) et que l’on prend en compte les traits articulatoires des sons par rapport à l’avènement du sens. Ils tentent d’établir des corrélations constantes entre des traits relevant du substrat phonétique et sémantique. Ils cherchent à définir les relations d’iconicité unissant l’articulation de phonèmes et les signifiés premiers spatiaux qui leur sont associés, dans le but de montrer le lien forme-sens submorphologique que cette iconicité permet de mettre en œuvre chez les locuteurs.

L’imitation et l’acquisition d’un schéma représentationnel commun

L’aire de Broca (zone du cerveau mobilisée pour le langage) apparaît impliquée dans un système des neurones miroirs qui a principalement pour fonction de lier la reconnaissance à la production d’une action.[1] La perception de l’acte à imiter et son exécution doivent posséder un « schéma représentationnel commun ».[2] Selon le modèle proposé par l’éthologue Richard Byrne, l’observateur procèderait à une segmentation de l’action à imiter afin de décomposer le flux continu du nouveau mouvement observé en une chaîne d’actes appartenant à son patrimoine moteur.[3] Les neurones miroirs localisés dans le lobe pariétal inférieur et dans le lobe frontal traduisent en termes moteurs les actes élémentaires qui caractérisent l’action observée, l’aire 46 étant responsable de cette recombinaison, ainsi que de la constitution d’une mémoire de travail.[4] Les compétences en matière de décodage de l’expression faciale des émotions apparaissent très tôt au cours du développement humain.[5] Les bébés de 6 mois regardent les visages et plus particulièrement la bouche.[6] Des nouveau-nés de moins d’un mois, alors qu’ils n’ont pas encore vu leur propre visage, parviennent à reproduire certains mouvements faciaux de leurs parents, comme l’ouverture de la bouche et la protrusion de la langue,[7] le serrement des lèvres et le froncement des sourcils.[8] Ainsi, très tôt, le nouveau-né possède des compétences motrices, un vocabulaire d’actes buccaux assez étoffé pour la succion et le sourire qui apparaît lorsqu’il est repu à la fin de la tétée. Mais surtout, un système de neurones miroirs rudimentaire[9] semble permettre la mise en place de mouvements de bases et de configurations spatiales de la bouche qui sont fondamentaux pour la future acquisition du système phonologique de la langue maternelle : l’ouverture de la bouche permet l’acquisition de l’acte moteur nécessaire à la prononciation de la voyelle /a/, le sourire celui de la voyelle /i/, le serrement des lèvres et leur protrusion celui des voyelles /o/ et /u/.[10] L’acte d’imitation du nouveau-né requiert « un mécanisme capable de coder dans un format neural commun l’information sensorielle et motrice pertinente à un acte ou un ensemble d’actes ».[11] Il prépare l’acte de communication gestuelle et verbale qui nécessite un mécanisme reliant le locuteur et l’interlocuteur par une compréhension commune sensorielle et motrice. Les chercheurs en submorphologie tentent de démontrer que ce schéma représentationnel commun peut s’appuyer sur les relations d’iconicité unissant les caractéristiques articulatoires de phonèmes à des signifiés premiers spatiaux.

Langage et motricité

La compréhension des mots et la production de parole font appel, outre aux aires de Broca et de Wernicke, au système sensori-moteur. L’étude des processus neurobiologiques et cognitifs impliqués dans l’émergence et le traitement des représentations d’action ont permis de montrer les liens étroits unissant l’observation, la représentation mentale d’une action, enfin, son exécution. Dans le cadre théorique d’un possible couplage fonctionnel, d’une co-structuration, des systèmes de perception et de production de la parole, des études comportementales et neurophysiologiques suggérent l’implication du système moteur articulatoire lors de l’analyse et de l’émergence des représentations verbales.[12] La Théorie de la Perception pour le Contrôle de l’Action considère que les représentations liées aux unités de parole ne sont ni de purs produits sensoriels, ni de purs objets moteurs inférés, mais des percepts multimodaux régulés par l’action. Des travaux en neurolinguistique suggèrent que le pointage vocal pourrait être une évolution du pointage gestuel (pointer le doigt) qui est une des premières formes de communication entre le nouveau-né et son entourage. La neuro-imagerie montre que les pointages gestuels et vocaux sont enracinés dans un même réseau cérébral.[13]

Notes

  1.  RIZZOLATTI, G., SINIGAGLIA, C., Les Neurones miroirs, Paris, Odile Jacob, 2008, p. 159.
  2.  PRINZ, W., “Experimental approaches to imitation” in W. Prinz, A. N. Meltzoff, The imitative Mind: Development, Evolution and Brain Bases, Cambridge University Press, 2002, p. 153.
  3.  BYRNE, R. W., “Seeing actions as hierarchically organized structures: great ape manual skills” in W. Prinz, A. N. Meltzoff (ed.), The Imitative Mind: Development, Evolution and Brain Bases, Cambridge University Press, 2002, p. 122-140 ; BYRNE, R. W., “Imitation as behaviour parsing”, Philosophical Transactions of the Royal Society of London, Series B, 358, 2003, p. 529-536.
  4.  RIZZOLATTI, G., SINIGAGLIA, C., Op. Cit., p. 159.
  5.  GOSSELIN, P., « Le décodage de l’expression faciale des émotions au cours de l’enfance », Canadian Psychology / Psychologie Canadienne, 46(3), 2005, p. 137.
  6.  PALAMA, A. (2018a), « Les bébés relient l’émotion d’une voix à celle d’un visage », Université de Genève, Communiqué de presse du 11/04/2018. https://www.unige.ch/communication/communiques/2018/les-bebesrelient-lemotion-dune-voix-a-celle-dun-visage/
  7.  MELTZOFF, A. N., MOORE, K., “Imitation of facial and manual gestures by human neonates”, Science, 198, 1977, p. 75-78.
  8.  FIELD, T. M., WOODSON, R., et alii (1982), “Discrimination and imitation of facial expressions by neonates”, Science, 218, 1982, p. 179-181 ; FIELD, T. M., WOODSON, R., et alii, “Discrimination and imitation of facial expressions by term and preterm neonates”, Infant Behavior and Development, 6, 1983, p. 485-489 ; KAITZ, M., MESCHULACH-SARFATY, O., et alii, “A reexamination of newborn’s ability to imitate facial expressions” in Developmental Psychology, 24, 1988, p. 3-7.
  9.  RIZZOLATTI, G., SINIGAGLIA, C., Op. Cit., p. 162.
  10.  SAFFI, S., La personne et son espace en italien, Grenoble, Lambert-Lucas, 2010, p. 152. 
  11.  RIZZOLATTI, G., SINIGAGLIA, C., Op. Cit., p. 163.
  12.  SATO M., « Représentations verbales multistables en mémoire de travail : Vers une perception active des unités de parole », Cahiers Romans de Sciences Cognitives, 2(2), 2006, p. 125-127 ; SATO M., BUCCINO G. et alii, “Processing abstract language modulates motor system activity”, Quarterly Journal of Experimental Psychology, 61(9), 2008, p. 905-919 ; SATO M., BRISEBOIS A. et alii, “Speech perception as a sensorimotor process. Evidence from use-induced motor plasticity”, Speech and Face to Face Communication Workshop in memory of Christian Benoit, session 4, Multimodality in Humans and Avatars, 2008.
  13.  LOEVENBRUCK H., DOHEN M., VILAIN C., “From gestural pointing to vocal pointing in the brain”, Revue française de linguistique appliquée, XIII-2, 2008, p. 23-33.